PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Le jeune cavalier remonte sur sa monture fantastique et se propose de suivre le conseil de Barbabus. Lorsqu’il passe au-dessus de la vaste propriété du seigneur Alba, son cœur lui chante une bien triste chanson. Des centaines de charrettes et divers articles remplissent déjà un champ situé derrière la maison du profiteur. Le jeune missionnaire éprouve pour la première fois de sa vie de la révolte. Comment peut-on se permettre de ruiner ses semblables au nom du profit? Il voit tout un troupeau de buffles sur le terrain du seigneur fruitier, ce qui prouve avec quelle rigueur celui-ci prive un bon nombre de Paysans de ces animaux pour labourer leurs champs, lui qui n’a pas de labours à faire. La licorne vient se poser devant un ravin dans lequel montent et descendent deux serpents ailés aux couleurs de l’arc-en-ciel. En face se dresse une haute montagne givrée sur laquelle reposent les trois boules luminatisiennes. Cet endroit est saisissant comme beauté, surtout lorsque des feux de toutes les couleurs apparaissent un moment au-dessus des sphères lumineuses avant d’éclater en milliers de cristaux. Anima traverse avec grâce de l’autre côté et vient se poser devant un escalier pyramidal situé au sommet de la deuxième sphère. Kana sait qu’il doit monter les longues marches de cristal s’il veut rencontrer les Maîtres lumineux. Il est tout de même très craintif et surtout timide. Aucun autre Paysan avant lui ne s’est permis autant d’audace. C’est évident que si son père savait ça, il s’empresserait de le tirer par le bras pour l’empêcher d’ennuyer les Puissants glaçons. Mais voilà, il n’est pas là pour le retenir. Kana écoute son cœur lui chanter qu’il doit vaincre sa peur. Il décide d’avancer mais cela ne l’empêche pas de se retourner après chaque marche afin de se rassurer du joli regard de sa licorne. Anima sourit des yeux puisqu’elle sait très bien que son jeune cavalier ne risque rien. Kana arrive devant l’immense boule de cristal et trouve vraiment étrange de n’y voir aucune entrée. Il se trouve sur un palier aussi mince qu’une feuille de papier. Il réalise que ce plancher est en réalité un miroir qui refuse toutefois de refléter son image. Le jeune missionnaire voit plutôt une cité de verre qu’il est incapable de situer sur Arkara. Le plus étrange, c’est que la nuit existe dans ce monde inconnu. Il se demande comment des citadins peuvent vivre dans un village éclairé uniquement par des torches! Il tremble d’effroi en voyant cette cité fondre ensuite comme de la cire. Finalement, le miroir devient très noir et le visiteur ignore qu’il vient d’avoir une vision du futur. Kana préfère trouver une manière de pénétrer dans la boule luminatisienne. Il sait que les Croucounains entrent dans leurs maisons en forme d’œuf sans utiliser de porte. Il place donc sa main sur la sphère et sourit en examinant celle-ci disparaître à l’intérieur. Il s’y introduit entièrement et découvre alors un monde tout à fait dénudé d’artifices décoratifs. Il voit un bassin circulaire entouré de jolis nids brillants remplis des glaçons. Il remarque que des milliers de couleurs fourmillent dans le sol et semblent même se poursuivre pour ensuite s’unir entre elles. De leurs unions sortent d’autres couleurs qui se poursuivent à leurs tours. La voûte étoilée fascine le jeune visiteur jusqu’au moment où une voix maternelle lui demande la raison de sa visite. Kana lui dit qu’il aimerait avoir une licorne. On lui répond qu’il possède déjà la plus belle licorne de l’univers. Le garçon précise en disant que c’est pour son frère jumeau. Le Maître de la nature lui avoue posséder ce pouvoir d’entretenir la vie et non de la créer. Il faudra donc qu’il s’adresse au Maître du destin s’il croit important d’obtenir une licorne pour son frère. Kana lui demande alors comment faire pour le rencontrer. Il lui indique seulement qu’il le trouvera là où les sentiers ne mènent nulle part. Le jeune missionnaire demande d’autres précisions mais n’obtient aucune réponse. Il ignore que sa licorne connaît parfaitement la route à suivre. Par conséquent, les Grands-Maîtres lumineux jugent inutile de lui en dire plus. Une voix lui demande de fermer les yeux. L’instant d’après, Kana se retrouve près d’Anima. Il lui demande si elle connaît un endroit où les sentiers ne mènent nulle part et voit la licorne battre légèrement des ailes comme pour lui faire comprendre qu’il doit poursuivre son voyage. Le jeune cavalier repart vers l’aventure.

Anima traverse un nuage au parfum printanier. L’air sent bon et la brise caresse les joues de son cavalier. C’est bien la preuve que Kana est le bienvenu dans la forêt enchantée. Il voit des arbres, des plantes et des fleurs givrées qui se bercent paisiblement. Il demande à son accompagnatrice de se poser et celle-ci fait semblant ne pas entendre sa demande. Elle sait que cet endroit est réservé aux Entités qui se sont endormies en attendant de connaître leur destin. Si Kana s’y arrête, il voudra s’y reposer trop longtemps et risquera ainsi de nuire à sa mission. La licorne passe au-dessus d’un lac et s’y pose au grand étonnement du jeune adolescent. Il sourit lorsqu’il marche sur cette eau aussi solide que le sol. Il y voit des poissons nager et même des animaux courir sur celui-ci. Il saisit une poignée de ce sable liquide qu’il fait glisser entre ses doigts et réalise que ce lac n’est qu’une illusion optique. Il trouve un fort joli rosier qui semble sortir de l’eau. Il saisit une fleur et la place dans la crinière d’Anima en lui disant ironiquement qu’elle est la plus belle licorne qu’il connaisse. Puis, il fait un bouquet en se disant qu’il aimerait bien offrir sa première gerbe de fleurs aux Grands-Maîtres lorsqu’il reviendra de sa mission. Il voit aussitôt son bouquet disparaître. Sans tarder, il en fait trois autres, soit le premier pour le Maître du destin, le deuxième pour ses parents et évidemment le dernier sera pour Osis. Il remonte sur sa monture fantastique qui vole ensuite un moment au-dessus de la forêt enchantée avant de descendre lentement vers une clairière remplie de centaines d’articles rapportés jadis par Perlin au cours de ses voyages astraux. Kana y trouve par hasard une réplique minuscule de la statue de la Liberté. Il se souvient d’avoir vu ce monument lorsqu’il était au sommet du cratère et se demande évidemment ce que fait cet article sur Arkara? Il voit un ourson ailé l’observer de loin. Il bat des ailes un moment en affichant un air attristé. Lorsqu’il réalise que le visiteur n’est pas son ami Perlin, il retourne dans la forêt. Kana s’y aventure à son tour et ne tarde pas à s’y perdre. Il trouve uniquement des sentiers qui le ramènent constamment au même endroit. Il s’agit d’un immense chêne argenté dont les feuilles transparentes laissent voir la sève de l’arbre. Le jeune voyageur s’assoie sous celui-ci et entend une voix lui demander si son jumeau est déçu par son présent ? Kana s’empresse de se lever et fait même le tour de ce chêne qu’il soupçonne d’être à l’origine de cette voix. Mais celle-ci lui demande ensuite s’il croit également que son frère est victime d’une injustice? Le garçon baisse les yeux en disant qu’il cherche plutôt à satisfaire le caprice de son jumeau. Il voit alors le Maître du destin assis sur une grosse pierre, caressant les oreilles d’un lapin noir et blanc. Il lui fait comprendre qu’il ne peut créer une licorne comme Anima. Par contre, il peut diviser sa nature en créant un cheval ailé sans corne et une licorne sans ailes. Kana s’empresse de répondre qu’il préfère offrir sa jolie Anima à son frère plutôt que la savoir divisée. Manuel opine de la tête d’un air satisfait. Il demande au garçon de ne plus se sentir coupable de posséder une licorne puisque son jumeau réalisera un jour ou l’autre que sa pierre précieuse valait bien Anima. Il disparaît et Kana n’éprouve plus ce sentiment de culpabilité envers Anak. Celui-ci devra s’y contraindre qu’il le veuille ou non.

Kana réalise qu’il a oublié d’offrir un bouquet de roses au Maître du destin. Il le cherche un moment avant de le découvrir en compagnie de la fée Marianne. Le garçon la trouve vraiment belle ! Il ne veut pas les déranger et s’assoie sur un tronc d’arbre en attendant l’occasion pour présenter ses fleurs. Malgré lui, il surprend la conversation. La fée avoue tristement qu’elle trouve son petit Perlin bien malheureux depuis qu’il vit parmi les Paysans. Elle s’est transformée en colombe pour épier régulièrement ses déplacements. Elle ne lui connaît que deux amis, soit le petit Barbouille et Gerbin, le contremaître de la carrière. C’est peu pour une société qui devait normalement comprendre qu’un orphelin a besoin d’attention, d’amour et d’affection. Le Maître du destin lui répond que cela s’explique par le manque d’amour chronique des Paysans. Ils n’ont pas tous les torts puisque Perlin ne se comprend pas lui-même depuis qu’il a perdu la mémoire. Toutefois, le temps est proche où il pourra reprendre progressivement sa place parmi les Olympus dès qu’il aura découvert sa véritable nature. Marianne lui dit que sa mission sera de ramener Perlin au rang des Olympus mais doute d’y parvenir depuis que ses sœurs veulent lui faire épouser Bertal, le plus puissant magicien du pays. Son fiancé qu’elle n’aime pas est si jaloux qu’il fera tout pour l’empêcher d’accomplir son rôle de purificatrice. Le Maître du destin lui répond que ce magicien ne deviendra jamais son époux. Même si le royaume de Féerie est gouverné par la reine Sornia, mère de ce prétentieux Bertal, ce monde intemporel appartient aux Olympus, c’est-à-dire aux Immortels. Par conséquent, il tiendra sa promesse faite à sa toute puissante Mère Lumière en offrant Féerie à Perlin et à sa douce Marianne, fée des eaux pures. Il lui embrasse les mains en lui demandant de ne pas s’inquiéter même si les événements portent à croire que c’est la reine Sornia qui décide tout dans son royaume. N’est-il pas le Maître qui dessine la destinée des êtres ? Kana écoute cette conversation sans parvenir à comprendre qui est ce Perlin dont il est question. Une chose est certaine, c’est que si Gerbin avait été là pour entendre Manuel parler de Féerie, il aurait vite fait le lien entre la forêt enchantée et celui-ci. Il sait que cette forêt, le village de l’Abondance et la vallée musicale demeurent invisibles aux yeux des Arkariens puisqu’ils font uniquement partie d’une autre dimension. Il aurait été content d’apprendre que celle-ci porte simplement le nom de Féerie. C’est un secret bien gardé et même Kana ne dévoilera jamais ce qu’il a entendu ce jour-là. Il se lève et dépose sa gerbe de fleurs sur la souche avant de s’éloigner discrètement.

Le jeune missionnaire entend une petite voix l’interpeller lorsqu’il marche sur un sentier. Elle lui dit qu’elle désire lui montrer l’arbre Salutor. En réalité, c’est l’arbre lui-même qui lui explique le secret qui permet à des êtres de voir des événements passés ou futurs grâce à ce pouvoir d’entrer en contact avec les branches temporelles d’un arbre qu’il appelle simplement « l’Arbre Originel » ou encore « l’Arbre de Vie. » Il pense qu’il est de son devoir de l’éveiller à cette prise de conscience. Il lui dit que la Vie est un arbre qui prend ses racines dans la Source originelle. Ses branches s’étendent partout dans le temps sans que l’arbre lui-même ne bouge. Il est immuable, éternellement présent dans l’eau intarissable d’où est sorti la Création. L’arbre Salutor arrête de parler un moment et précise alors au garçon qu’il doit prendre ses propos sous forme d’images seulement. Il continue en disant que les feuilles poussent aux branches de cet Arbre éternel et tombent finalement après un certain temps, pour ensuite pourrir dans le sol. Ce que Kana doit comprendre, c’est que la feuille doit suivre le cycle des saisons alors que la sève qui la nourrit se promène, elle, partout dans l’Arbre de Vie. Par conséquent, s’il se prend pour une feuille éternelle, il sera triste un jour de devoir se séparer de la Vie. Par contre, s’il se dit qu’il fait partie de la sève, il ne craindra pas de voir son corps disparaître. Puis, ce n’est pas la feuille qui peut dire ce qui se passe dans le corps de l’Arbre Originel puisqu’elle pousse quelque part sur l’une de ces milliers de branches. C’est seulement par la sève qui la nourrit qu’elle peut percevoir des choses du passé ou du futur. La sève ou « l’essence » est l’ensemble des Entités aussi appelé « Corps Universel. » Elles sont tous les enfants de l’Arbre de Vie qui va partout dans son être comme une sève qui les nourrit en Connaissances et vice et versa car ils forment un tout indissociable dans la conscience universelle. Tout est possible pour celui qui prend conscience de cette sève en lui. Il faut cependant que la feuille comprenne qu’elle n’est pas plus intelligente et sage qu’une autre à cause de son talent de visionnaire. Ce n’est en fait qu’un outil de connexion ou de conscience destiné à ceux qui doivent accomplir une mission en particulier. Le meilleur conseil que l’arbre Salutor puisse donner au jeune adolescent, c’est de toujours s’identifier à un quinquet et sa flamme. Ce n’est pas la lampe qui éclaire, mais le feu qui l’habite. Kana doit réfléchir à cela s’il veut pouvoir expliquer un jour aux Initiés où il puise ses visions. Le garçon lui demande la raison de tous ces noms gravés en lettre d’or sur les feuilles? L’arbre Salutor lui répond qu’il est le gardien des Entités arkariennes qui vont bientôt vivre dans un autre monde. Kana remarque que la majorité des noms lui sont inconnus. Cela est normal puisque ces Entités portent toutes des noms Terriens.

L’odyssée de Kana n’est pas terminée. Anima s’envole bientôt vers une région inconnue des Paysans qui sont si peu intéressés par l’exploration de leur planète qu’ils n’ont jamais remarqué un petit village de pêcheurs situé dans une baie remplie de perles. Le jeune cavalier est fasciné par les grosses perles qui ornent le toit des maisons et surtout par une route entièrement pavée de petites perles. La licorne se pose près d’un quai où un pêcheur retire son filet de l’eau en demeurant debout dans sa barque en forme de sabot. Lorsqu’il remarque la présence du visiteur, le barbu à l’allure sympathique s’approche timidement pour demander au garçon d’où il vient exactement? Kana lui répond fièrement qu’il vit au village d’Atlantis et qu’il trouve bien joli les routes de perles. Le pêcheur rit de bon cœur en disant qu’elles ne valent guère mieux que des cailloux à ses yeux. Alors le visiteur en profite pour lui demander si les plus grosses sur les toits sont également de vulgaires cailloux? Celles-ci sont bien différentes lui répond le barbu. Elles ne se laissent pas prendre dans les filets comme les autres. Il faut qu’un téméraire accepte de se laisser gober par un ver géant, friand d’huîtres énormes. S’il est chanceux, le pêcheur y trouvera peut-être une perle impressionnante. Une fois le trésor dans ses bras, il ne lui reste plus qu’à taper dans la gueule du monstre Gobule qui le régurgite aussitôt. Kana avoue que ce n’est pas tout à fait le genre de pêche qu’il aimerait pratiquer. Le pêcheur examine la petite poche qui pend dans le cou du visiteur et lui demande s’il s’agit d’un bijou. Kana lui montre volontiers la pierre précieuse de son jumeau et le barbu lui propose une grosse perle contre celle-ci. Le jeune adolescent s’y refuse et remet rapidement sa pierre à son cou. Alors le pêcheur n’hésite pas à lui offrir trois grosses perles contre sa monture. Kana lui répond qu’Anima n’est pas une simple monture, mais la plus belle licorne de l’Univers. Il remonte sur celle-ci en ajoutant que toutes les grosses perles de ce village ne pourraient se comparer à la valeur de son accompagnatrice. Kana ne remarque la présence d’aucun enfant dans ce village. Il a même tenté d’offrir sa couronne de fleurs au barbu en échange d’une perle pour aussitôt se faire répondre qu’on ne s’intéressait pas aux fleurs à Perlagobule. Kana trouve que ce nom est plutôt amusant pour un village!

Kana est de retour et son jumeau admet que son frère a vraiment fait tout en son pouvoir pour lui obtenir une licorne. Il reprend sa pierre sans amertume comme s’il se résignait enfin à la décision du Maître du destin. Phardate vient s’excuser auprès d’Anak et demande à Kana s’il peut s’entretenir avec lui. C’est la première fois de sa vie que le jeune missionnaire marche en compagnie du puissant chef des Croucounains et l’émissaire du Maître du destin. Il veut d’abord féliciter l’adolescent d’avoir eu le courage de se présenter devant les Grands-Maîtres du Mont Bellapar et surtout de n’avoir révélé à personne sa rencontre avec Manuel. Celui-ci le remercie aussi pour ses jolies fleurs et présume qu’il se doute évidemment que son jeune visiteur a probablement entendu toute la conversation avec la fée. Kana s’empresse alors d’en demander pardon car ce n’était vraiment pas dans ses intentions d’épier le puissant Maître. Un petit rire étouffé s’échappe du Croucounain lorsque ce dernier avoue que personne ne peut épier le Maître du destin sans son consentement. Manuel voulait seulement s’assurer du niveau de discrétion de son jeune visiteur. À présent qu’il sait qu’il peut se fier sur lui, son émissaire est chargé de lui révéler l’identité de Perlin, et même de lui expliquer pourquoi celui-ci a dû perdre la mémoire. Kana est vraiment troublé d’apprendre que la fin du monde est pour bientôt. Par contre, le jeune missionnaire sait qu’il doit apprendre à penser comme la « sève » et non comme la « feuille » s’il ne veut pas sombrer dans le désespoir par moments. Phardate lui rappelle qu’il doit puiser sa force dans cette conviction d’être une Entité qui se doit d’évoluer partout dans le corps de l’Arbre de Vie plutôt que dans son corps physique actuel. Pour cela, il lui faut regarder au-delà des apparences. C’est évident que cela fait mal de voir une branche tomber de l’arbre tout en sachant qu’elle va pourrir dans le sol. Par contre, la vie n’est pas dans la durée d’une branche mais dans l’évolution des Entités. C’est pour cela que même si les mondes se détruisent, la vie se poursuit éternellement. Le temps passe mais non les Entités. Bien sûr, elles ont toutes un lot d’illusions à épurer pour parvenir à enfin comprendre la nature de l’Arbre de Vie. Malheureusement, plusieurs le réalisent si lentement qu’elles commettent une foule de bêtises lorsqu’elles vivent dans une matière lourde comme le corps d’un Paysan. Elles veulent capter quelque chose d’immortel en s’imaginant pouvoir l’obtenir dans ce qui n’a pas été créé pour durer éternellement. Phardate essaie de faire comprendre au jeune missionnaire qu’il perdra son temps à rechercher sa véritable raison d’être s’il voit le monde uniquement du point de vue temporel. Il lui rappelle qu’il aurait toutes les raisons de se révolter du mauvais traitement infligé à son peuple par Baa-Bouk, et les Connients pourraient se demander ce qu’ils ont fait pour mériter le massacre de leurs frères. Mais Baa-Bouk n’avait aucun pouvoir de détruire les Entités qui habitaient les corps de ses victimes. Elles ne lui appartenaient pas et vivent à présent d’autres niveaux de conscience en laissant simplement au monstre la simple illusion de leur disparition. Pour un Maître destructeur d’une telle puissance comme lui, n’est-il pas étrange que sa destiné se charge de lui rendre la vie insupportable en lui accordant encore moins de liberté que le plus petit des insectes? Les événements jouent constamment en sa défaveur comme si la fatalité le ramenait malgré lui à ne jouir d’aucun plaisir relié normalement au pouvoir. En somme, le sort de Baa-Bouk ne vaut guère mieux que les squelettes des ancêtres Djinardiens. Kana demande au Croucounain s’il connaît la fée Marianne? Et vit-elle à Féerie? Phardate comprend que son compagnon de route est curieux de savoir où se trouve ce royaume. Il répond que ce monde appartient aux Immortels, c’est-à-dire aux Entités qui peuvent y réaliser leurs rêves ou leurs cauchemars selon leur niveau de conscience. Tout est possible à Féerie et en même temps, rien n’est vraiment réel puisque c’est le pays de l’imaginaire. Toutefois, il est l’essence même de l’inspiration, de la muse, du rêve et de la créativité, enfin, de toutes réalisations humaines qu’on considère bonnes ou mauvaises. En fait, c’est le monde visible de la pensée et n’est surtout pas le pays des défunts, et encore moins celui des esprits. Il est simplement le monde où se matérialise un certain temps une idée, un conte, une invention avant qu’elle ne prenne forme dans la matière. C’est le moule par lequel les rêves se concrétisent. Un scientifique dit qu’il a eu un éclair de génie, un autre parle de l’inspiration ou encore d’avoir réussi à visualiser ce qu’il veut réaliser. Alors, on peut dire qu’à ce moment précis, ils ont vécu à Féerie. La majorité des Terriens s’y rendent en rêves, sauf Primus Tasal et certains autres privilégiés si on le voit ainsi car ce sont souvent leurs tâches spéciales qui exige d’eux d’avoir une nature hors du commun. Dans cette logique de pensée, il est normal que ce royaume soit destiné à Perlin à cause de sa double appartenance qui fait qu’il a le pouvoir d’aller non seulement chercher tout ce qu’il désire dans l’univers, mais surtout de recréer exactement dans le monde intemporel, ce qu’il a vu ailleurs. Ainsi, il pourra nourrir Féerie contrairement à la reine Sornia qui n’est que le mauvais rêve des rois de la Terre. Un jour ou l’autre, celle-ci disparaîtra lorsque les Terriens mettront de côté la royauté pour la remplacer par des gouvernements. Malheureusement, la fée Marianne est obligée de suivre les conventions actuelles du pays, et s’est retrouvée avec un fiancé jaloux sur les bras. Des fiancés jaloux, s’amuse à répéter Phardate, ne disparaissent pas aussi facilement que les anciens dieux grecs et romains comme le dirait si bien Primus Tasal! Marianne vient du monde originel comme Perlin. Mais elle ne pourra le ramener auprès de sa Mère Lumière qu’après l’avoir purifié. Cela ne peut se faire qu’à Féerie puisque c’est le royaume où tout est possible. Le chef des Croucounains se contente de dire que les Olympus possèdent ce pouvoir de déjouer les lois de la logique linéaire, et même de tromper la Nature lorsque cela est nécessaire. Manuel l’a fait avec Chronos et le Cœur royal s’est également prévalu de ce pouvoir pour effacer certains mots qui le dérangeait dans son royaume.

Kana retourne à la maison et voit le serviteur animé prendre un panier pour se rendre aux vergers communautaires car depuis que ce bibelot accomplit cette cueillette pour le Grand Superviseur, la vie familiale n’est plus la même. Le jeune missionnaire se rend au jardin dans le but de visiter et d’arroser sa fleur, mais réalise que le serviteur s’est même occupé d’accomplir cette tâche à sa place. Il trouve son père en compagnie d’un voisin qui lui reproche d’avoir bien changé depuis qu’il possède un serviteur si zélé. Il ajoute avec une certaine morgue, qu’il pourrait même embrasser son épouse à sa place au besoin! Adamas se contente de baisser les yeux et retourne à la maison en secouant tristement la tête. Kana n’ose lui dire que même s’il est évident que ce voisin est jaloux, il a raison de prétendre qu’il a bien changé depuis un certain temps. Son père ne fait plus rien et néglige progressivement ses tâches de Grand Superviseur depuis que des conseillers mettent en doute son intégrité. Pour eux, comment doit-on considérer celui qui a accepté un bibelot animé de son rival? Adamas a finalement compris et demande à ses deux fils de l’accompagner chez le seigneur Alba. Il lui dit que son serviteur est encore dans les vergers et qu’il serait préférable qu’il y demeure pour toujours. Le seigneur fruitier se contente de rire en s’éloignant en compagnie de son fils Byblos. Le bibelot revient toujours à la maison même si Adamas lui ordonna à trois reprises de retourner auprès d’Alba. Pour ce serviteur, son maître n’est pas Alba, mais Adamas.

Un matin, Adamas et tous les autres propriétaires de bibelots animés pleurent à chaudes larmes en découvrant leurs belles fleurs de cristal non seulement fanées mais noircies. Les Grands-Prêtres, accompagnés des Croucounains et des Connients s’empressent de venir consoler les affligés alors que les autres Paysans trouvent plus utile d’arroser leurs fleurs. Anak est inconsolable et ne cesse de demander à son ami Gad pourquoi les fleurs se sont fanées? Lemu est obligé de dire aux deux cents familles éprouvées que se sont leurs serviteurs qui ont arrosé leurs fleurs mais non avec amour, ce qui est normal car ces bibelots n’ont pas d’âme. Alors, les fleurs sont mortes de peine; c’est cela la triste vérité. Elles avaient besoin d’amour et leurs propriétaires ont manqué de jugement en laissant des bibelots accomplir ce geste quotidien à leur place. Les Croucounains déposent les défuntes dans un gros coffre d’ébène et transportent celui-ci dans un endroit secret. Une pluie torrentielle tombe pendant trois jours. Les Paysans n’ont jamais vu le Cœur royal pleurer autant de toute leur longue vie. Ceux qui possèdent toujours leurs fleurs Entités ne tardent pas à rejeter les « fautifs. » C’est ainsi qu’ils désignent les familles qui ne pourront présenter leurs fleurs à la prochaine fête de l’Abondance. Les « loyalistes » craignent déjà d’avoir à partager ce qu’ils possèdent avec les démunis puisque la logique est là pour dire que les affligés ne pourront plus faire remplir leurs charrettes comme eux. Les loyalistes trouvent surtout une certaine satisfaction en voyant à présent les défavorisés envier leurs fleurs comme eux-mêmes jadis, ont envié ceux qui ne voulaient pas partager leurs serviteurs. Alors, c’est la division du peuple. Les Grands-Prêtres ne peuvent tolérer une telle attitude et Lemu n’hésite pas à visiter chaque famille loyaliste pour lui dire sa façon de penser. Il dit que si Alba avait eu des serviteurs pour toutes les familles d’Atlantis, elles seraient toutes aujourd’hui du même côté que les éprouvés. Il précise que ce manque de compassion prouve au Cœur royal que ses enfants sont des égoïstes, que leur jalousie est mesquine, et prouve qu’ils sont toujours des inconscients malgré tout l’amour et la générosité reçue du Cœur royal qui lui, pleure la souffrance de ses enfants! Il tente même de les réveiller en ajoutant qu’ils perdent leur temps à arroser leurs fleurs hypocritement puisque le Souverain connaît à présent le fond de leur cœur car ils n’ont rien compris de son amour inconditionnel; mais rien n’y fait et l’expression « quand la coupe est pleine, il faut la boire! » déterminera à présent les sentiments opposés du peuple divisé par l’aveuglement créé par la peur. Parlant d’aveuglement, on a vu comme exemple, celui-ci inciter des voisines à lancer un bouquet d’épines à Gracia si respectée auparavant, avant de lui dire méchamment qu’elle peut toujours les présenter à la prochaine fête pour s’éviter d’arriver avec des mains vides ! Tout le fiel de l’amertume silencieuse provoqué par la jalousie jadis, sort maintenant de leurs bouches sur ceux que la faiblesse actuelle est évidente, donc, donne le droit, croit-on à tort, de se permettre de rejeter ouvertement les fautifs. Des Croucounains assistant à la scène violente, s’empressent alors de déposer doucement un joli bouquet de roses dans les bras de l’épouse d’Adamas ce qui fait réfléchir les deux voisines pour un court moment et les fait s’en retourner chez elles têtes basses.

Le Cœur royal clame qu’il n’a toujours eu, et n’aura toujours qu’un seul peuple ! Si celui-ci tient tant à la division, ainsi en sera-t-il en éclairant les fautifs d’un côté, et les loyalistes, de l’autre avant qu’ils ne s’entre déchirent. Les Grands-Prêtres se réunissent devant la Tour en or et retirent leurs bonnets et les tiennent à bout de bras. Ensuite, ils ferment leurs yeux pendant que les petites étoiles juchées au sommet de leurs chapeaux s’élèvent jusqu’au Cœur fantastique. Elles tournent lentement autour de celui-ci un instant, et amorcent par la suite une course vertigineuse. Le vaisseau du Maître du destin se rapproche et s’immobilise devant l’immense cristal. Des jets de lumière sortent des sept perles géantes du navire et se joignent enfin dans un seul rayon qui tranche le cœur en deux. La détonation est si forte que les montagnes en tremblent un moment. L’énergie cherche à s’échapper mais les étoiles créent un écran protecteur. Lorsque les religieux relèvent les yeux, la moitié du cristal tourne lentement sur lui-même alors que l’autre a été emporté par le navire gigantesque. Il va à présent briller dans l’ancienne vallée noire où bientôt les fautifs y seront déportés. Lorsque le demi-Cœur présente son côté tranché vers Atlantis, les Paysans se retrouvent dans la pénombre. Pour la première fois depuis des millénaires que les Arkariens devront apprendre à vivre la nuit. Le Souverain s’est tout de même assuré de ne pas plonger le canton dans une noirceur qui pourrait permettre à Baa-Bouk de reprendre ses pouvoirs en créant des nuages nocturnes chargés de son énergie. Malgré le joli effet lumineux produit par les étoiles, cela n’enlève en rien la crainte des Paysans envers l’inconnu. Les loyalistes prennent soudainement conscience de leur irresponsabilité et cessent leur discrimination face aux fautifs. Jusqu’alors, leur intolérance incitait même les parents à interdire à leurs enfants de fréquenter les jeunes marginaux. Mais à présent, ce mal profond vient de se transformer en regrets : les fautifs regrettent leurs fleurs, et les loyalistes voudraient revoir le Cœur briller dans un seul morceau. Il est trop tard pour revenir en arrière. Une autre tristesse vient écraser les frêles épaules des Paysans lorsqu’ils apprennent que les deux cents familles fautives doivent se préparer à quitter le canton.

Kana est interpellé par son père qui lui demande de se renseigner sur ce qui se passe avec l’étrange phénomène qui se produit à intervalles réguliers. Il préfère utiliser ce terme plutôt que des mots comme le jour et la nuit. Il est convaincu que le Cœur fantastique daignera expliquer à son fils la raison de cette déportation, et surtout de lui en indiquer l’endroit. Le jeune missionnaire est le premier Paysan du village à voir le demi-cœur. Il se demande pourquoi l’intérieur de celui-ci est noir? Il se dit qu’il est peut-être vide après tout! Anima dépose son cavalier au sommet de la tour et le Cœur attristé remercie son ami de venir le consoler. Il lui dit qu’il comprend mal l’attitude de son peuple. Kana baisse les yeux sans répondre. Le jeune Souverain lui révèle qu’il est l’Amour gratuit et surtout qu’on ne peut lui prouver sa fidélité qu’en aimant son prochain. Le Cœur devient silencieux pendant un long moment. Kana relève la tête et regarde le firmament qu’il observe à l’œil nu pour la première fois sans que cela ne provienne d’une vision. Il voit ainsi, la Terre, la Lune, Mars, Jupiter et Saturne. Uranus, Neptune et Pluton sont à peine visibles à l’œil nu. Il sait fort bien qu’il deviendra un jour missionnaire sur Terre et que d’innombrables fautifs devront également y vivre après la fin du monde. L’arbre Salutor ne lui a pas caché être le gardien des Entités arkariennes qui auront à vivre dans un autre monde. Celui-ci n’est nul autre que cette bille bleue qu’il aperçoit maintenant. Le Cœur royal devine que son ami désire connaître le lieu où se trouve l’autre moitié de son cœur et préfère lui dire la vérité. Il avoue qu’elle éclaire déjà une partie de l’ancienne Vallée noire où malheureusement, la vie n’y sera pas aussi douce que dans le canton d’Atlantis. Il tient à préciser qu’il n’a pas voulu punir quiconque en déportant les fautifs dans cette région, mais il faut simplement que ceux-ci redécouvrent la valeur de leurs fleurs de cristal en la cultivant dans le jardin du cœur. Il dévoile aussi plusieurs autres choses à Kana avant de lui demander de s’en retourner chez lui.

Dorgon vient enfin de découvrir le moyen de faire fonctionner les deux navires de Polar et Bylis. Malheureusement, il obtient un piètre résultant en réalisant que ceux-ci refusent toujours de quitter l’orbite de la planète. Décidément, Myotis a beau jeu pour le moment. Il a emporté son tube de mégator et celui de Dorgon. La seule consolation du mutant protecteur est de pouvoir au moins se servir des deux autres navires pour voyager sur Arkara. Kana vient de quitter la Tour royale et s’empresse de demander à sa licorne de se poser sur un sentier où il voit Osis marcher en pleurant. Dès qu’elle voit le fils d’Adamas, la fillette se jette dans ses bras et essaie de lui expliquer entre deux sanglots, qu’elle vient d’échapper son berceau dans l’enclos du monstre. Elle avoue s’être perdue, trompée sans doute par cette nuit et surtout d’avoir suivi les indications d’un loyaliste qui lui indiquait le mauvais chemin pour s’en revenir au village. Osis trouvait étrange d’avoir à monter un sentier et réalisa trop tard qu’elle se trouvait au sommet du mur. Un cri terrible se fit entendre et prise de panique, elle échappa son berceau en tentant de fuir par la direction opposée. Kana saute sur sa monture fantastique en disant qu’il va lui ramener son berceau. Osis tente de le retenir, mais tel un héros sans peur, son amoureux n’écoute que son cœur. Du moins, c’est ce qu’elle croit mais disons plutôt qu’il a très peur et que la nuit masque heureusement les sueurs qui lui coulent dans le dos. Après le départ de Kana, la fillette presse le pas dans le but de trouver un Grand-Prêtre qui arrivera peut-être à temps pour empêcher le garçon de descendre dans l’enclos en le sortant de là grâce à son glaçon magique. Elle rencontre Achiliam et Barbouille. Le Paysan le plus rapide du canton s’élance vers la demeure du Maître Dorgon puisqu’il est le seul qui pourra se battre contre Baa-Bouk s’il tient Kana entre ses pattes. De son côté, Barbouille demande à sa sœur de retourner à la maison tandis qu’il tentera de convaincre Kana de ne pas s’aventurer dans ce fichu enclos. Il rencontre un Connient et lui demande s’il peut courir assez vite pour le conduire sur la muraille. Le bambin s’accroche à sa jambe et réalise qu’un géant peut être si rapide, que le pauvre Achiliam n’aurait absolument aucune chance de le devancer s’il coursait contre lui, mais Barbouille arrive trop tard : Kana est déjà dans l’enclos et tient le berceau dans ses bras alors que le monstre est immobile devant lui. Il cherche évidemment à envoûter sa victime sans y parvenir. La licorne vient alors se placer devant son jeune cavalier, mais celui-ci lui demande d’aller chercher de l’aide. Elle s’envole et au même instant, Baa-Bouk sort sa langue et gobe rapidement le jeune missionnaire. Impuissant, Barbouille sait qu’il ne peut rien faire pendant qu’Anima tente d’introduire sa longue corne dans la peau coriace de l’animal. Tout à coup, se pointe enfin le vaisseau de Dorgon. Baa-Bouk préfère fuir dans sa grotte après avoir réussi à se libérer de sa poursuivante. La pauvre créature reçut un rude coup de sabot dans les flancs et s’écrase un court moment. Un jet lumineux sort du navire spatial et touche le petit Barbouille qui aussitôt plane jusque dans l’enclos. Dorgon semble déjà posséder un plan pour libérer Kana. Il rassure Barbouille en disant lui que celui-ci est toujours vivant puisque Baa-Bouk cherche uniquement à le garder en otage contre sa propre libération. Il faut donc s’organiser pour aller chercher Kana dans la gueule monstrueuse. Le petit frère d’Osis est si courageux qu’il propose sans hésiter de s’introduire dans cette gueule si Dorgon parvient évidemment à lui ouvrir celle-ci. Le mutant demande à Achiliam de tenir compagnie à la licorne en attendant le retour de son cavalier. Anima se relève difficilement et vole lentement au-dessus de la grotte en versant des larmes. Achiliam lui crie à plusieurs reprises que Kana est vivant mais reçoit une larme sur la main et voit celle-ci se durcir rapidement. La bille ressemble étrangement à celles qui furent découvertes jadis par Dorgon devant les grottes remplies par des milliers de squelettes. Cela prouve que les Luminatisiens possédaient l’apparence d’Anima avant de se transformer en bulles lumineuses. À l’intérieur de la caverne, Baa-Bouk tente d’échapper à son gardien jusqu’au moment où celui-ci pulvérise des pierres de la voûte de façon à les faire rouler entre les pattes du monstre, ce qui le fait basculer par-devant. Dorgon plonge alors sa patte entre deux énormes crocs et prouve son véritable pouvoir à cette bête lorsqu’il émet un son étrange de son bec. Baa-Bouk se calme aussitôt à la grande surprise de Barbouille.

À l’intérieur de la gueule se promène Kana. Il a peur de l’étrange enfant qui semble être enfermé dans un cocon transparent. On dirait qu’il suce son pouce en fixant le jeune missionnaire d’un air candide. Kana vient de voir Ba-Fon, cet enfant étrange que Baa-Bouk refuse de laisser naître. Une voix caverneuse dit au missionnaire qu’il doit prendre l’œuf de la survie qui roule aussitôt à ses pieds. Cet œuf est celui qui guidera les fautifs dans cette vallée vraiment différente d’Atlantis. D’eux-mêmes, ajoute la voix, les pionniers de ce canton ne pourront se protéger contre les intempéries telles que le froid, le chaud, la faim, la soif et même contre les animaux féroces. Si les loups et les brebis d’Atlantis arrivent à se pacifier entre eux, il en ira autrement dans cette vallée qui ressemble à la Terre. Kana est surpris d’entendre le jeune enfant lui dire que le monstre veut lui interdire d’offrir cet œuf de la survie. Il se trompe puisque le fœtus se contente de sucer son pouce. Cette voix est celle du Maître du destin si déguisée que le jeune missionnaire n’a pas pu la reconnaître. Puisque Kana est convaincu que c’est l’enfant qui lui parle, il se demande alors pourquoi le monstre veut lui interdire d’offrir cet œuf ? En réalité, Baa-Bouk a tout fait pour tenter de détruire Ba-Fon sans y parvenir. Il voudrait également voir les fautifs mourir dans son ancienne vallée puisqu’il sait pertinemment qu’ils n’y survivront pas sans son pouvoir animal. C’est celui-ci que Manuel vient de lui dérober en l’introduisant dans cet œuf qu’il offre à Kana. Le garçon hésite à le prendre, mais la voix lui dit que le pouvoir de cet œuf n’est pas monstrueux si les fautifs savent l’utiliser comme des humains et non comme des bêtes. Elle presse le missionnaire à prendre ce pouvoir car déjà le monstre s’agite terriblement. Kana sent la tête bouger et attrape juste à temps cet œuf avant d’être projeté dans la gorge de l’animal par une violente secousse. Il s’agrippe désespérément pour éviter d’être avalé. Ce geste provoque une terrible nausée au monstre. Au même instant, Barbouille, qui est enfin parvenu à s’introduire dans la gueule du monstre, est accueilli par un torrent visqueux et salé qui aurait repoussé tout autre que lui. Ce détail ne saurait par contre obliger une nature comme Barbouille à rebrousser chemin et à accepter de nager dans cette mare nauséabonde jusqu’à Kana qu’il saisit fermement par le bras. Il le sort du trou et le monstre vomit ses prisonniers. Dorgon presse les deux garçons à fuir au plus vite pendant que le monstre cherche déjà à se relever. Les fugitifs sont à peine sortis de la caverne qu’ils sont rejoints par le taureau titanesque. Anima possède entre-autre, ce pouvoir de faire jaillir de l’eau partout où elle le désire. Elle frappe alors le sommet de la grotte avec son sabot droit et aussitôt apparaît une véritable chute qui ne tarde pas à ralentir la course de Baa-Bouk. Il nage très mal contrairement à ses assaillants qui plongent rapidement pour rejoindre l’échelle du navire complètement inondée. Ils échappent de justesse à leur poursuivant mais celui-ci tente un autre assaut en sautant sur le vaisseau dans le but de le piétiner. Le cri terrible de la dragonne l’oblige à affronter la Belle-Chimo qui pique déjà dans l’enclos. Le monstre se dresse sur ses pattes de derrière, et les deux adversaires se livrent un combat sans merci. Finalement, la dragonne se fait écraser la tête dans la gueule du monstre lorsqu’elle tente de lui cracher son feu au visage en même temps que son dard terrible s’enfonce dans les flancs de l’autre. Les deux monstres basculent par-dessus le navire et sont emportés par le courant jusqu’à l’intérieur de la caverne. Kana pleure comme ses amis en réalisant que la Belle-Chimo vient de périr. Mais Dorgon, assis sur la chaise de pilotage, fixe d’un air respectueux les trois jeunes héros : il est évident qu’ils vont passer à l’histoire arkarienne.

Kana rapporte le berceau à Osis et remet l’œuf à Dorgon avant de s’éloigner en silence. Il vient de vivre une expérience qui suffirait normalement à décourager un jeune adolescent. Il lui faut une rude confiance en ses Maîtres pour continuer sa mission après de tels événements. Tout le village ne parle que de la mort de Baa-Bouk et des jeunes téméraires qui ont osé s’aventurer courageusement dans l’enclos. Cela n’empêche pas le sablier temporel de fixer le départ des fautifs dans deux jours. Il faut par conséquent que ces familles remplissent leurs charrettes que les Grands-Prêtres viennent de confisquer à Alba de même que tous les bibelots animés. Il est surtout important de n’apporter que l’essentiel. Pour le seigneur fruitier, tout ce qui compte à ses yeux sont les bouteilles d’élixir qui vont lui permettre de conserver sa jeunesse. Il en cache partout dans ses bagages et demande même à Byblos de vider les baluchons de Mercéür pour qu’il puisse y cacher différentes drogues, des poils de Baa-Bouk et surtout des objets qui vont lui servir pour des rituels. Anak vient demander à son jumeau ce qu’il désire emporter parmi ses jouets, et la seule réponse qu’il reçoit est qu’il doit tous les donner aux loyalistes. Décidément, Kana s’est déjà désintéressé aux biens matériels. Tout ce qu’il désire, c’est rencontrer Osis pour une dernière fois. La fillette vient le rejoindre sur une colline qui donne une vue vraiment superbe du village et des champs de blé. Osis désire lui redonner son berceau et lui dit, en esquivant un sourire, que les roses refusent de toute façon de pousser dans cet objet. Elle aimerait que son amoureux le conserve en sa mémoire. Elle se jette ensuite dans ses bras en réalisant qu’ils ne se reverront sans doute plus jamais. Si cela est dur pour elle, c’est encore pire pour Kana qui sait également que la fin du monde est pour bientôt. Tout ce qu’il souhaite pour celle qu’il aime en silence, est qu’elle ne souffre pas avant de mourir. Il réalise parfaitement que personne ne traversera dans l’autre monde avec son corps même si une nouvelle vie attend les Arkariens après le désastre planétaire. Les amoureux discutent un long moment et lorsque le jumeau de Kana regarde le ciel, il sourit en voyant l’étoile de son frère embrasser la jolie rose. Cela ne dure qu’un court moment, exactement comme l’a prédit la sage fée à propos des ailes du joli papillon amoureux qui profitent de l’instant où celui-ci se pose sur une fleur pour s’embrasser. Anak lui, désire donner son imposante collection de pierres précieuses à son grand ami Gad. Son gros coffre muni de roues est tiré par un buffle qui a compris sa bonne intention sans quoi il refuserait de se laisser atteler à ce trésor. Anak découvre le jeune géant assis au bord de la rivière et on dirait qu’il pêche avec ses deux bottines. En réalité, il dépose simplement celles-ci au fond de l’eau pour qu’elles servent de maisons aux poissons. Il se relève pieds nus, et sourit à son ami qui lui offre sans tarder sa collection en disant qu’elle n’est pas aussi précieuse que l’amitié qu’il lui porte. Il ajoute qu’il ne désire conserver uniquement que ces deux pierres, soit celle qu’il porte à son cou, et le joli caillou de pierre cactus offert par celui qu’il n’oubliera jamais. Le jeune Connient entoure ses bras autour de son ami en pleurant en silence. Puis, il soulève le gros coffre sans difficulté mais le repose aussitôt. Il retire alors son chapeau de glaise, et lui dit qu’il désire lui confier son oiseau handicapé en souhaitant que des ailes lui pousseront dans l’autre canton. Anak s’éloigne ensuite sans se retourner malgré les cris de Gad qui lui prédit qu’il va le rejoindre un jour, peu importe où il se trouve. Il est son fidèle ami et pour cela, il ne l’abandonnera jamais. Le jumeau opine lentement de la tête en pleurant.

Il fait presque nuit et Anak caresse doucement le caneton reçu en cadeau en marchant tristement sur un sentier qui conduit au village. Il voit Mercéür assis sur une pierre, les yeux émerveillés par le passage d’une étoile filante. Puis, détournant lentement la tête, il sourit à l’adolescent en disant que le ciel est trop beau pour être triste. Il ajoute ironiquement qu’il n’est pas difficile de quitter un canton où il existe si peu de place pour un orphelin. Anak se rapproche timidement et lui demande d’excuser l’inconscience des villageois qui n’ont réellement jamais compris l’orphelin. Mercéür sourit en hochant de la tête. Le garçon ajoute que la population ne s’est jamais accoutumée à ses longs moments de silence au cours duquel son corps demeure immobile comme une statue. Le vigneron lui répond que les Grands-Prêtres appellent cela de la « méditation astrale » ou encore des voyages hors du corps. Anak soupire en souriant puisque cela lui rappelle évidemment les étranges comportements de son jumeau par moments. Il est donc en mesure de comprendre ce que lui décrit Mercéür. Il lui avoue sans détour avoir vu Kana lui rapporter un objet de la maison sans avoir bougé de sa place. Le jeune homme rit de bon cœur et tend ensuite son bras droit devant lui pour lui demander s’il peut identifier l’objet qu’il porte à son poignet ? Le garçon n’a jamais vu une montre numérique et fixe celle-ci d’un air embêté. Mercéür lui explique qu’il ignore lui-même l’utilité de ce qu’il vient à peine de rapporter de la planète Terre. Bien sûr, il le savait là-bas mais s’en souvient plus à présent; telle est sa vie fragmentée par moments de souvenirs et d’absences... Anak se demande pourquoi les chiffres changent constamment, et surtout s’il doit croire celui qui prétend s’être retrouvé avec ce petit boîtier à son poignet en revenant de sa transe. Le vigneron lui offre l’objet et laisse le jumeau s’amuser à tenter de l’ouvrir. Comme il presse trop fort sur la vitre, celle-ci éclate en laissant un morceau de verre dans son pouce. Mercéür s’empresse aussitôt de le lui retirer celui-ci et se coupe alors à son tour. Ainsi, son sang et celui d’Anak se mêlent accidentellement. Le jumeau est surpris de voir que le sang du vigneron est presque clair, et étrangement, ressent en lui une vitalité surprenante. Mercéür lui dit qu’il le voit parfois sur Terre alors qu’il est très âgé et ajoute qu’ils se ressembleront énormément lorsqu’ils seront missionnaires. Évidemment, Anak ignore que Mercéür deviendra missionnaire sur Terre et encore moins dans un autre corps. Mais la seule pensée qu’ils pourraient être identiques le fait sourire. Pourtant, le vigneron possède des dons de visionnaire encore plus développés que le frère d’Anak. S’il affirme qu’ils se ressembleront autant, c’est qu’il se voit véritablement jumeau de ce garçon. Anak ignore surtout qu’il lui faudra vivre dans un tout autre corps, le moment venu d’accomplir sa mission. Il existe donc cette forte probabilité de ressembler à celui dont le sang vient de se mêler au sien. Anak devient rapidement l’ami de Mercéür comme s’il se prenait déjà pour son nouveau jumeau car n’a-t-il pas pris l’habitude depuis sa tendre enfance? Comme il sent son jumeau naturel s’éloigner vers un destin différent du sien, l’idée de cette nouvelle « alliance » fait du chemin bien qu’il apparaît ridicule de changer en cours de route, dans un sens en même temps, leurs destins semblent indubitablement liés par leur sang métissé. Le fait d’être déjà jumeau l’a préparé à envisager une vie nouvelle. Anak jette la montre sur le sol en disant qu’il est inutile de conserver un objet dont l’utilité demeure inconnue. Mercéür lui répond ironiquement que l’idéal serait d’en faire autant avec ce qui est vide, inerte : il parle évidemment de la vie du corps. Les deux nouveaux amis marchent ensembles sans se presser jusqu’au village.

Le moment du grand départ est arrivé et les deux cents familles sont rassemblées dans un vaste champ avec leurs charrettes remplies d’articles. Cela ne réjouit personne comme aux beaux jours des fêtes de l’Abondance car, on ne revient pas chez soi; on le quitte pour une destination inconnue. Le Grand-Prêtre Lemu ne cache à personne que celui ou celle qui refuserait de quitter le canton avant la prochaine fête annuelle, perdra le souffle de vie dans son corps. Bien qu’on doute encore un peu de sa parole, on se résigne tout de même par sécurité, à quitter le village dès à présent. Se tenant sur sa canne de berger, celui-ci marche en tête de la caravane au bras de son élève accompagnateur et quelques confrères disposés à vivre avec les fautifs. Des parents loyalistes trouvent si triste de voir partir leurs voisins qu’ils préfèrent confier leurs enfants aux renards pour qu’ils les occupent dans les champs de blé pendant qu’un long cortège de charrettes traverse le village. La foule amassée de chaque côté de la route lance des jolies fleurs sur le convoi sans prononcer un seul mot. Dans de telles circonstances, il est si difficile de retenir les émotions de part et d’autre que personne n’ose parler. Anima est agenouillée derrière une charrette près des jumeaux et Kana tient fermement sur ses genoux le berceau d’Osis et relève lentement une couverture de jute pour examiner de temps en temps, l’état de l’œuf de la survie. Achiliam, Gad, Barbouille, Osis, Dorgon, Bylis et Polar saluent les futurs pionniers de l’autre canton en plaçant leurs mains sur leurs poitrines pour dire qu’ils les conservent dans leurs cœurs. Les fautifs en font autant avant de poursuivre leur route vers l’inconnu. Comme les buffles connaissent le chemin à suivre, Lemu demande aux familles de se laisser appliquer une crème sur leurs paupières qui les aveuglera un moment car nul ne doit reconnaître le passage qui conduit dans la vallée noire. Il s’agit évidemment d’un ravin étroit situé entre deux volcans, sauf que l’épaisse fumée de cette région des marais est si intense en permanence que cela serait insensé de s’y aventurer à moins de savoir exactement où se trouve ce corridor entre les deux cantons. Les fautifs traversent donc de l’autre côté en demeurant assis dans leurs charrettes. Lemu veut éviter que des téméraires découragés de leur nouveau style de vie, se mettent en tête qu’ils pourraient éventuellement revenir à Atlantis et ainsi, mettre leur vie en danger.

Les pionniers arrivent en pleine nuit sur un plateau situé dans l’ancienne vallée du monstre. Ils retrouvent progressivement la vue et réalisent qu’il fait vraiment très noir même si le firmament est rempli d’étoiles. Lemu réclame des volontaires pour l’aider à faire des petits feux de campeurs autour desquels se rassemblent aussitôt les familles. On mange avec appétit, on discute longuement et puis, c’est le silence. Un coq sauvage chante à l’aube et chacun se demande pourquoi le jour est déjà là. Ils viennent simplement de dormir pour la première fois de leur vie. La crainte s’installe lorsque les fautifs réalisent l’absence des Grands-Prêtres. Ils sont alors convaincus d’avoir été abandonnés; c’est du moins ce que prétend Alba pour créer de l’angoisse au sein du groupe. Adamas lui demande de se taire et rassure une pauvre Paysanne en affirmant que Lemu et ses confrères n’ont jamais abandonné personne. Alba demande alors aux autres s’ils voient ou non les religieux? S’ils ne les voient pas, c’est simplement parce qu’ils sont retournés à Atlantis. De nouveau Adamas lui ordonne de se taire et se fait rapidement répondre par l’ancien seigneur fruitier qu’il n’est plus le Grand Superviseur pour dicter quoi que se soit aux autres. La tension monte entre Adamas et Alba, ce qui n’aide en rien à l’adaptation dans ce nouveau monde. De son côté, Kana réalise que l’œuf de la survie n’est plus dans le berceau. D’une part, il préfère ne plus en être le gardien et de l’autre, il ne souhaiterait pas voir celui-ci dans les effets personnels du seigneur Alba. Son père lui demande discrètement d’explorer les environs, et surtout ramener au plus vite les religieux avant que la communauté ne se laisse manipuler par ce fichu divisionnaire. Il lui donne un baluchon rempli de nourriture et le jeune aventurier ne demande pas mieux que de visiter ce monde inconnu; la jolie licorne s’envole rapidement.

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